T'es qu'une tête à claques. [R. Uriel]

La jeune Reagan avait passé la journée à repeindre sa chambre, malgré l'interdiction formelle de sa colocataire. Elle avait le moral dans les chaussettes, et peindre la détendait, même si elle était loin d'être une artiste et d'avoir ne serait-ce qu'un brin de talent. Pas besoin d'avoir du talent pour recouvrir un mur de peinture rouge, enfin du moins quand on ne cherche pas la perfection. Debout sur un tabouret très peu stable, elle se mit à chantonner.

Ce n'est pas parce que vous n'avez pas la voix de Mariah Carey qu'il faut vous empêcher de psalmodier. Cette chanson lui rappela sa rencontre avec Aidan, ce casse-cou. Alors que son pinceau restait écrasé sur le mur, tous ses souvenirs d'enfance refirent surface, ce qui la fit sourire, malgré elle. Soudain, son téléphone portable sonna ce qui faillit lui faire perdre l'équilibre, elle essuya ses mains pleine de peinture sur la vieille salopette de sa tante qu'elle portait depuis la veille, et s'en alla répondre.

« Je ne l'ai pas. »

« Bradford, j'en ai besoin pour bosser m*rde ! »

« Je le sais Berty ! Je le sais-euh ! Mais ne crie pas comme ça ! »

« Mais si je crie ! Bien sûr que je crie ! Tu fais dans l'événementiel Bradford ou je me goure ? »

« Berty ... »

« Oui ou m*rde ?! Je le veux Brad ! Je le veux, demain, au plus tard ! »

« C'est impossible, tu ... »

« Je ne veux pas le savoir. Demain, ou tu dégages. »

Lib' travaillait depuis trois ans dans une agence de création publicitaire, plus couramment appelé une agence de publicité et de graphisme, son patron lui assurait depuis deux mois qu'elle allait bientôt avoir une promotion, étant vraiment douée pour son jeune âge. Ce n'était vraiment pas le moment de se relâcher, et encore moins de laisser les gens avec qui elle travaillait tout foutre en l'air. Elle s'acharnait depuis tellement de temps dans son travail ...

« Quoi encore ?! »

« Liby ? »

« Ah, Uriel, c'est toi ... Qu'est-ce que tu veux ? »

« Oh j'voulais juste avoir de tes nouvelles, c'est tout. »

« Il est 22 heures ... Moins deux ... C'est parce que tu te fais chier, c'est ça ? »

« Putain t'es vulgaire ... Mais ouais, un peu. »

« Vulgaire, moi ? Mais ... Laisse tomber. Tu passes me prendre ? »

« Dans tes rêves. On se retrouve où ? »

La blondinette enleva sa vieille salopette pour enfiler un jean boot-cut, un débardeur blanc classique, et ses fidèles converses. Elle n'allait tout de même pas se faire belle pour un ex amant en manque d'affection, même si avant toutes choses ce dernier était quand même le frère de sa meilleure amie. C'est seulement une fois entrée dans sa voiture que la jeune femme se rendit compte de sa destination. Le Black Angus. Rien que de le répéter à voix haute, elle en eut des frissons. Pourquoi Uriel voulait-il absolument qu'ils se retrouvent là-bas. La détestait-il tant que ça ? Cette boite de nuit, pomée dans Blairwood, était réputée pour ses drogués et ses clients douteux, accros à la boisson et aux jolies filles.

« T'en a pas ? »

Grrrr. Liberty détestait ce genre d'endroit, une rue sombre et étroite, ressemblant plus à une venelle qu'à une rue d'ailleurs, les lampadaires éteints, bien entendu, pour effrayer les plus sensibles. Tout un tas d'hommes, pour la plupart sans logement, qui déambulent une bouteille de whisky à la main, le regard vide. Elle se dépêcha d'entrer dans le bar, qui lui semblait être, par rapport à l'allée, chaleureux et accueillant. La vérité était toute autre.
Elle s'installa au bar, la tête enfouie dans les paumes, attendant qu'Uriel daigne arriver.

Uriel avait passé sa journée à traîner chez lui, bien trop paresseux pour daigner sortir faire un tour en ville. Il faisait d'incessants aller-retours entre le salon, où se trouvait la télévision, la cuisine où il se cherchait quelque chose à boire ou à grignoter et sa chambre pour naviguer sur le web ou écouter de la musique tout en étant avachi sur sa chaise noire. Son après-midi avait été rythmé au son du groupe The Script, entres autres, ce dernier découvert il y a huit jours de cela par Quinn. Il chantonnait machinalement les paroles de "We cry". Comme à son habitude quand il appréciait une chanson, il s'en imprégnait le rythme et ce qui s'en dégageait. La plupart du temps, il rejouait sur la guitare les quelques notes récurrentes des différents morceaux.

Jenny was a poor girl,
Living in a rich world,
Named her baby Hope when she was just 14.
She was hoping for a better world,
For this little girl,
But the apple doesn’t fall too far from the tree.

Il n'avait accompli aucun exploit, aujourd'hui, comme vous l'aurez compris. Quoique rester scotché trois heures devant "Mon incroyable anniversaire" sur MTV à observer ces fils et filles de avides de divertissements et jamais pleinement satisfaits demande du courage. Il était habillé d'un sweat bleu Abercrombie&Fitch et portait un jogging noir en dessous. Le jeune homme n'avait pas mangé correctement ne serait-ce qu'un seul repas; pas de petit-déjeuner, de déjeuner ou de dîner. Juste des mets improvisés selon ses envies. Coca-Cola Zero à onze heures, Kit-Kat Ball à midi et demi, deux minis pizzas surgelées à quatorze heures, des margharitas pour être plus précis, des blinis accompagnés de tarama le quart d'heure suivant... Bref, des calories en masse qui ne seront probablement pas dépensées facilement. Il avait eu l'idée de cuisiner, pendant que ses soeurs étaient absentes, mais il était trop fatiguée pour préparer quoique ce soit. La maison était à lui, il pouvait y faire ce qu'il désirait. Seulement, c'était une journée de "rouille" et de glandage qui s'annonçait. Envie de rien, grossomodo.
Aux environs de 21 heures 45, l'inspiration et la motivation vint alors à lui; appeler Liberty, dite Liby. Il se mit alors à la recherche de son portable, qu'il n'avait étrangement pas dans la poche centrale de son sweat. D'abord, il vérifia qu'il ne se trouvait pas dans la cuisine; il n'y était pas. Ensuite, Uriel entama une investigation dans sa chambre. Il crut le voir sous son lit mais se rendit compte que ce n'était qu'un vieux paquet de chewings-gums à jeter d'urgence. Enfin, il termina par fouiner dans le salon, auquel il n'avait pas pensé. C'est six minutes plus tard qu'il retrouva son cellulaire, caché dans un sachet de M&M's - étrange, j'en conviens.
22 heures 58.

Quoi encore ?!

eut le plaisir d'entendre Uriel en appelant son amie Liby. Elle avait l'air vraiment enjouée...

Liby ?

poursuivit-il en sachant pertinemment, pourtant, que c'était elle. Les questions rhétoriques, la grande passion de tous. Il commença doucement et en vint vite au but sous les ordres de Reagan. En effet, il s'ennuyait comme jamais il ne s'était ennuyé. Mais elle devait se sentir honorée qu'Ury est pensé à elle en tout premier lieu pour passer le reste de la soirée. Il l'invita donc à le rejoindre au Black Angus, placé dans un quartier mal fréquenté. Pourquoi pas ailleurs ? Parce qu'un mardi à cette heure-ci, il ne fallait pas s'attendre à ce qu'un bar soit ouvert. Ou alors, il n'y avait pas d'ambiance.
Le jeune Hoover s'empressa de choisir une tenue. Il n'avait nul besoin de se mettre sur son 31, un simple jean et une chemise noire feraient l'affaire. Il hésitait cependant sur l'ouverture du col. Devait-il laisser libres deux ou trois boutons ? Quatre ? Il soupira, étonné de s'attarder sur ce détail insignifiant et passa une main dans ses cheveux pour se redonner de l'allure. Il sortit de la pièce où il se situait et se dirigea vers l'entrée. En quittant la maison, il atrappa une veste et ses clés de voiture.
Arrivé devant le lieu du rendez-vous, il gara son véhicule et balaya la rue du regard. Uriel ne voyait pas Liberty. Des blondes, il en distinguait à la pelle, mais celle qu'il attendait n'était pas ici. Pensant qu'elle était déjà entrée, il en fit de même. Cherchant Reagan dans la salle, il plissa les yeux en voyant de quelle manière se comportait certains hommes et comment des femmes paraissaient explicites dans leurs gestes. Concentré sur l'analyse des clients du Black Angus, il fut tiré de ses pensées par une main qui se posait sur son épaule droite.

Libyyy !

cria-t-il après l'avoir démasquée.

Liberty pianotait machinalement sur le comptoir, n'ayant rien à la portée de la main à part quelques miettes qui traînaient par-ci par là. Assise sur un tabouret trop grand pour elle et qui lui faisait mal au derrière, elle s'agita et tenta se remettre debout puis de s'accouder au bar, comme une vraie habituée du Black Angus, essayant d'avoir l'air cool. Mais le sourire crispé dessiné sur son visage indiquait le contraire, et les personnes présentes au bar ne tardèrent pas à s'en apercevoir. Ils la regardèrent comme une bête de foire, se demandant sûrement ce qu'elle venait faire ici, dans cette boite pour déglingués du ciboulot.

« Mais qu'est-ce que tu fous Ury ... »

Et voilà qu'elle parlait toute seule maintenant, son cas ne s'améliorait pas. Elle décida alors de faire quelques petits sourires, histoire de se la jouer, mais elle n'était vraiment pas douée pour ça.

Un brin nerveuse, la demoiselle se retourna pour couvrir la salle du regard.

« Ury, mon poulet, t'es sympa, mais j'espère que t'as une bonne raison pour m'avoir traîner dans ce coin minable. »

Vous allez certainement ne pas me croire, mais la jeune femme fut tellement heureuse de voir une tête connue qu'elle avait presque envie de serrer son ex amant dans ses bras, et surtout de le garder bien au chaud près d'elle, pour montrer à tous qu'elle n'était plus toute seule et donc plus aussi vulnérable. Elle attira Uriel près du zinc, le forçant à s'asseoir et à la regarder.

« Et ne dis pas que c'est parce que tu t'ennuyais. »

Liberty esquissa un léger sourire avant de continuer.

« Même si je sais que c'est vrai, enfin il y avait forcément autre chose. »

Elle attrapa le premier truc qui lui passait sous la main.

« De toute façon il y a intérêt sinon je te fais bouffer ça par les narines ! »

Dommage pour elle, il s'agissait d'une bouteille de scotch, que le barman s'empressa de reprendre d'ailleurs. La jeune femme ébaucha un sourire qui en tant normal en aurait fait craquer plus d'un. Mais là c'était un barman de trente-cinq ans voire plus, irrité par tant d'années de bons et loyaux services, et ça ne le faisait pas vraiment rire. Au contraire de ce cher Ury qui se pliait en quatre comme un blaireau. Ah ah, très drôle.

FLASHBACK

« Je te boude. »

« Mais non, dis pas n'importe quoi. J'aime pas quand tu boudes. »

« Moi j'aime bouder un boudeur comme toi. »

« Arrêtes. »

« Je boude définitivement, là. »

« T'es pas en train de ... ? »

« Bien vu, Ury ! Je suis en train de rompre. »

FIN DU FLASHBACK

Je vous l'accorde, rompre ce n'est pas un moment de plaisir, à part si vous êtes un vieux ou une vieille sadique. Mais Liberty n'a pas eu mal, elle. Et ce n'est pas une sadique non plus. Donc vous l'aurez compris, il existe aussi une catégorie nommée 'les inclassables', malheureusement.
Uriel attaqua le premier.

« Deux vodkas. »

La jeune Reagan riposta.

« Tu craques Hoover ? Je ne bois pas. »

Il déclara, perfide.

« Genre. »

Alors que son verre était à peine posé sur le comptoir, elle s'empressa de le boire cul sec, comme si sa vie en dépendait.

Liberty attira Uriel près du comptoir et tous deux prirent place l'un à côté de l'autre. Tandis que le jeune homme pensait déjà aux consommations qu'il allait devoir payer en guise de remerciement pour avoir amené son amie à venir au Black Angus sans raison, cette dernière venait justement de se poser la question du « pourquoi ». Dommage pour elle, Ury avait bien l'esprit tordu et incohérant. Par conséquent, s'ils restaient coincés entre une strip-teaseuse plus aguicheuse que séduisante et un tatoueur adepte de blousons en cuir et tunning, c'était bien sa faute.

Vas-y, fais-moi bouffer ça par les naaaahahahaa...

s'écria Uriel en voyant Liby se faire subtiliser la bouteille qu'elle avait saisi. La scène était très plaisante, vue de l'extérieur. Ce devait sûrement être moins amusant quand on était la blonde gênée. Après s'être calmé, une minute plus tard en l'occurence, Hoover fit signe au barman. Deux vodkas pour ces jeunes gens. Tant pis si Libert jouait l'ingénue sobre, il avait envie de boire et elle se devait de le faire également. Au pire des cas, il irait lui chercher une limonade à l'épicerie du coin. Quoique, non, c'était nettement moins intéressant.

***

Ca y est, on est libre. Ca fait du bien, non ?

Je me sens libéré d'un poids, au sens propre ET figuré.

Même pas marrant.

Liby ?

Quoi ?

Tu es sûre de bien rentabiliser ton abonnement au club de fitness ? Les résultats ne sautent pas aux yeux, en vérité.

Tu es sûr de bien rentabiliser tes bons pour les séances d'UV ? Parce que je me ferai un plaisir de te faire faire une petite démo la tête dans le four.

C'est là que je suis sensé rire, c'est ça ?

***

Uriel s'en fichait au fond, de ne plus être qu'un ami de Reagan. Ce qui le gênait, c'était de ne pouvoir en parler à personne. Quiconque n'entendrait parler de leur histoire à dormir debout. Et puis, abandonner toutes ses nouvelles petites habitudes si subitement avaient été difficiles et accentuait le vide qu'il ressentait suite à leur rupture. Une fois les verres servis, chacun des ex amants finirent leurs verres d'une traite. Puis, le grand brun entama une conversation.

Parle. Je n'ai rien à dire. Raconte-moi même ta vie, je suis prêt à écouter. Ou à vaguement entendre, selon le degré d'intérêt que j'y porterai.

Bon début, au moins, ça déboucherait sur quelque chose. A quoi bon se forcer s'il ne savait pas de quoi parler ? Il n'allait pas oser discuter de la pluie et du beau temps. De toute façon, son interlocutrice avait toujours quelque chose à dire. Tout en prêtant son attention à son amie, Uriel passait machinalement la main dans ses cheveux et fixa son verre vide, quelque peu songeur. Il ne pensait à rien de particulier, défilaient seulement des images de la journée dans son esprit.

» Uriel Volckom Hoover ~ Fini.